Coucou mes chers et tendres, ma famille, mes amis. Je suis bien arrivé. C’est grand ici, je n’imaginais pas cela aussi grand. Le voyage ne s'est pas fait aussi facilement que je l’aurais souhaité. Cela a été un peu chaotique, mais dans l’ensemble je ne vais pas me plaindre. Tout le monde était là, à attendre ma venue. Ils m’ont accueilli sur une scène en forme de grand nuage bleu. J’était tout seul comme un con. J’ai pu ressentir ce que ressentait ma fille comédienne lors de ses représentations, mais là , j’ai fait plus fort qu’elle. Ils n’étaient pas soixante dix, mais quatre mille cinq cent personnes à m’attendre. Ils ont applaudi avant même que je fasse mon show. Je me suis pris pour Freddy Mercury, même si j’avais tout l’air de bozo le clown. Les applaudissements que vous avez entendu à l’église, lors du discours de mon ainée. Vous, vous rappelez. Lorsqu’a la fin de celui-ci les mains se sont mises à claquer comme dans une salle de spectacle. C’était ça. Faut dire, ça faisait un tel radam ici, difficile pour les nuages de les garder sous silence, ici aucun endroit n’est capitonné. Il n’y a aucun mur. Chacun circule librement.
Au premier rang y’avait mes frangins et mes frangines. La toute petite, celle que je n’ai pas connue. Vous verriez cette bouille, elle est trop mimi, on dirait ma deuxième fille. Elle a la tête à la connerie. A côté d’elle y’avait la plus grande, avec son fils en situation de handicap, d’ailleurs ici, il est ce qu’il y a de plus normal. La petite lui apprenait à faire des bulles avec son chewing-gum. Vous me connaissez, j’ai pas pu m’empêcher, je suis descendu de mon estrade et je lui ai dit : « attend, fréro va t’en montrer une rigolote » J’ai pointé mon index dans la bulle, elle à éclaté, et le chewing-gum est venu se coller sur son visage. ça a fait rire tout le monde. Puis y’avait mon frère, le syndicaliste, grâce à lui j’ai obtenu un super job. Oui, il n’a pas arrêté le combat, mais ici tout est plus facile. Tout est plus doux. Puis assis entre lui et notre sœur ; il y avait notre ange parti trop tôt de part son accident de mobylette. Saleté d’engins à moteur. Bref il était la. J’étais heureux de le retrouver. Pourtant, je ne vais pas vous cacher, j’étais triste lors de mes funérailles mais ici chacun portait mon chagrin, alors je me sentais léger. De là haut, je vous observais. De toute façon ca faisait un moment que ça traînait. J’ai préféré partir seul. Vous voir une dernière fois était au dessus de mes forces. Secrètement, lors de mes longues nuits d’errance, je suis allé toquer chez saint Pierre. Je lui ai demandé une faveur. Un départ le soir d’une pleine lune, tandis que le frangin à remué le ciel et ses étoiles afin de vous envoyer des plumes toutes douces. Bon, désolé les plumes étaient un peu fraîches, mais elle ont eu le mérite d’exister. De la neige en avril, c’est plutôt rare, ne vous plaignez pas, c’est un cadeau. De tant plus qu’après je vous ai envoyé le pollen de printemps en guise de plumes toutes douces, si vous avez traîné dans vos jardins, vous avez du les remarquer. Une fois descendu de l’estrade, je n’ai pas pu y remonter, ils m’ont pris pour Johnny Halliday. J’avais envie de chanter : « Allumer le feu, mais en ces circonstances, cela aurait fait désordre. Pourtant en tant qu’ancien croque-mort j’en ai allumé des feux au crématorium, des feux qui m’ont tiré les larmes par moment, enfin je me suis abstenu d’une telle blague ! Fallait les voir, ils me tiraillaient de toute part. Toutes les personnes que j’avais enterrées tenaient à me serrer la main. Alors ils se sont mis en file indienne. Moi, j’ai installé ma grande sœur sur mes épaules et j’ai passé ma journée avec elle, à serrer des paluches, tel un homme politique. Tandis qu’elle m’épouillait la tête comme un singe me disant : « ta pas de poux petit frère, évidemment, tu as aucun poil sur le caillou petit frère ! »
Et oui, ici je suis le petit frère d’une grande sœur happée trop tôt, qui n’a pas eu le temps de faire de vieux os, mais vous le savez comme moi ; la mort n’a pas d’âge et prend à tout heure. Et chez nous on est bien placé pour le savoir. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il eu beaucoup d’étoile filante chez les Ricards ! Je souhaite au dernier de passer la barre des soixante dix ans. Papa et maman vont bien, ils vous transmettent le bonjour.
Le lendemain j’étais convoqué, mes frères étaient là. Ils m’ont dit pas question de chômer, on t'a trouvé un job. Le même que nous, tu vas voir, c’est beaucoup plus agréable que croque-mort. Je suis plumeur de lune. Nous travaillons en famille. Nous avons tous été recrutés pour ce travail. Et oui, lorsqu’à vos pieds vous trouvez une plume, ne cherchez pas c’est nous. On envoie des plumes toutes douces à ceux qui ont du chagrin ou simplement pour signifier notre présence. A table il n’y a plus d’alcool autour de moi, autour de nous il n’y a que des pisse-mémés. Quand ça pleut sur vous, c’est nous et franchement les pisse-mémés ça fait pisser bien plus que la bière ! Alors oui vous pouvez râler quand il pleut, mais dans le fond ça n’est que du pipi d’ange, puis franchement, l’été, c’est bien agréable que de se rafraîchir sous une pluie que l’on attend comme le messi pour arroser les récoltes. Non ? Dansé sous la pluie mes amis, ma famille.
Nous avons aussi un pouvoir incroyable, celui de pouvoir emprunter les corps des vivants. Mon aîné m’avait tellement l’air en peine ses derniers temps, que j’ai pénétré le corps d’un chocolatier. Vous pourrez, si vous passez rue des Lices, voir des petits cœurs roses en chocolat, sur lesquels y est posée une plume blanche. C’est moi.
J’ai choisi cette rue car deux de ses amis commerçante ont leur pas de porte là-bas, tandis que son lieu de répétition s’y trouve aussi. Elle s'y rend tous les mardis soirs. Du coup pas de danger qu’elle me loupe. Je me suis marré comme un con lorsque je l’ai vu sourire toute seule devant la vitrine, elle le savait ; c’était nous. J’ai gagné mon pari.
Enfin, dire que j’ai obtenu ce job du con qui plume la lune, et que du con je disais être le roi ! Je vous l’accorde, je ne vous ai pas toujours aimé comme il se doit, pris dans le tourbillon de mon addiction, j’ai eu de bien belles maladresses. Pourtant je vous assure que mon cœur n’était pas paresse ! J’étais trop sensible, et malheureusement mes colères étaient aussi grandes que ma sensiblerie. Plus j’avançais, et plus j’anesthésiais les blessures que m’infligeait ce monde à coup d’alcool. Chaque bouteille me permettant de faire taire la rage ou la sensiblerie qui s’emparait de moi.
Nous sommes tous, de toute façon les deux faces d’une pièce de monnaie. Je ne connais personne qui soit réellement droit dans ses bottes. Nous avons tous nos travers. N’ayez s’il vous plaît aucun jugement pour vos proches. Nous ne sommes pas des juges. Etre jugé je sais ce que c’est, malheureusement, j’avais mal choisi ma maladie, on a plus de compassion pour quelqu’un qui meurt d’un cancer du poumon, que pour quelqu’un qui meurt d’une cirrhose. J’en ai essuyé des regards, des phrases assassines sur mon compte. Pas que moi d’ailleurs, mes filles aussi. D’ailleurs je les remercie, je les remercie d’avoir tenter de comprendre, de m’avoir aimé jusqu’au bout sans rien lâcher. L’alcoolisme est bel et bien une maladie. Longtemps on n’a pas voulu voir le mal qui me rongeait. Sur la fin je ne m’en suis pas caché, permettant ainsi à mes deux amours de pouvoir en parler, et qui sait, peut-être de pouvoir sauver quelques-uns qui sont en chemin, et qui on encore le choix. Je compte bien sur mon aînée pour faire ce travail d’écriture, tandis que la deuxième corrigera ses fautes. Oui ces deux là me feront du bon boulot ! Sans vouloir jouer les rabat- joie, des comme moi, vous risquez d’en voir arriver par cargo entier, dans ce monde où tout semble s’agiter. Il semblerait que les luttes syndicalistes de mon frère se sont éteintes en même tant que lui, et le prix de la bière chez lidl sonne comme un bas prix suicidaire, une mort à rabais pour les plus fragiles d’entre nous. Et toi ma sœur de par ton métier d’infirmière en psychiatrie et toi ma nièce de par celui d’assistante sociale, vous le savez. Vous êtes tout deux aux premières loges d’un monde qui se barre en couille. Pour l’heure je dois vous laisser. Il chie un peu dans la colle ici, j’ai du accueillir tonton Gégé , puis un gosse, Guillaume, beau comme un dieu, vingt-huit ans, aphasique, depuis qu’il est là, il a retrouvé ses mots, il est heureux, drague à tout va, Il est sur ses deux jambes. Ici rien ne fonctionne à l’électrique on vous a donc laissé le fauteuil. Par contre je dois plumer pour ses parents, mais aussi pour les soignants qui se sont occupé de lui. Ca ne va pas fort pour eux. Et aujourd’hui j’accueille un type comme moi qui avait réussi son combat contre l’alcool. Il était venu me veiller lors de mon départ avec son ami prêtre. Encore une fois ma fille est en peine, c’était son ami. J’ai du boulot et va falloir que je mette le paquet pour elle si je ne veux pas la voir fondre comme un cœur en chocolat au soleil. Alors je file, j’ai du pain sur la planche !
Et avant de filer, je vous demande de vivre. Nous sommes là secrètement, tout près de vous. Dans ce deuxième espace temps. On viens vous faire des bisous dans le cou, On vient vous visitez vos loulous. S’il vous plaît faites du bruit, chanter, prier, danser, faite du vacarme pour éponger vos larmes. Retrouvez vos cœurs d’enfants où tout n’est qu’instant présent. Lever les yeux, nous avons le même ciel étoilé, la même lune, le même soleil pour nous réconforter et de temps à autre regardez à vos pieds, une plume s’y sera peut-être invitée. Prenez le temps de vivre. Prenez par pitié, le temps d’arriver
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